Ce que l’on voit :
Dès 2012, les USA annoncent par la voix de l’Agence internationale de l’énergie (IEA en anglais), que l’exploitation du gaz et du pétrole de schiste leur permettait de viser l’indépendance énergétique d’ici à dix ans.
Il est vrai que la production pétrolière des États-Unis, seul pays avec le Canada à exploiter commercialement les hydrocarbures non conventionnels, a augmenté de près de 14% en un an. Du jamais vu dans la longue histoire pétrolière américaine.
L’année 2013 marque « la ruée vers le gaz de schiste ». L’Espagne, la Bosnie, la Suède, le Danemark accordent des permis d’exploitation. Aux pays bas, Henk Kamp, ministre des Affaires économiques, déclare « les réserves de gaz de schiste du pays pourraient être exploitées sans risque» et que « des forages d’exploration sont nécessaires pour déterminer l’ampleur des ressources néerlandaises ».
La Chine, l’Australie, l’Afrique du Sud, l’Argentine et le Mexique, qui possèdent tous des réserves importantes, ont ouvert la voie à des forages de prospection.
Sans fracturation hydraulique pas de gaz ou de pétrole de schiste. Ces hydrocarbures sont emprisonnés dans une roche qu’il faut fracturer pour les récupérer, fracturation qui est réalisée par injection d’eau à haute pression. À cette eau est ajouté du sable (ou équivalents) qui empêche les micro fractures créées par la pression de l’eau de se refermer, mais aussi différents solvants chimiques destinés à favoriser le processus d’extraction.
La loi américaine n’oblige actuellement pas à dévoiler la composition des produits utilisés, mais une enquête de l’Agence américaine de protection de l’environnement, dévoilée par le New York Times, cite parmi eux du benzène, des métaux lourds, divers produits cancérigènes et parfois même des éléments radioactifs (radium…).
Si d’autres types de fracturations ont été expérimentées (avec du gaz, de la boue…), l’eau demeure l’élément essentiel de l’exploitation du gaz de schiste. Chaque puits utilise entre 10 000 et 20 000 m3 d’eau au cours de sa période d’exploitation.
Les opinions publiques et des scientifiques, inquiets des conséquences environnementales de la fracturation hydraulique livrent bataille, au nom de la protection de la planète. En effet, cette technique pourrait être à l’origine d’une pollution des nappes phréatiques, de l’air, des sols et des paysages.
Si je vous dis Prague, vous pensez de suite à cette magnifique capitale de la République tchèque, située au cœur de l’Europe, dont en passant, je vous recommande le feu d’artifice du 31 décembre.
Mais il y a un autre Prague. Petite ville de 2 386 habitants, située dans l’Oklahoma, au centre sud des États-Unis d’Amérique.
Savez-vous que le 6 novembre 2011, un séisme d’une magnitude de 5,7 sur l’échelle de Richter a provoqué de sérieux dégâts.
Une étude publiée par des chercheurs de l’université de l’Oklahoma et de Columbia révèle que la cause en est l’exploitation du gaz de schiste. Ces scientifiques estiment que l’injection de liquides de fracturation usés dans le sous-sol est en cause.
Nos scientifiques ne sont pas en reste. L’académie des sciences de l’institut de France a publié le 15 novembre 2013 un avis sur les gaz de schiste , recommandant d’étudier les conditions d’une exploitation qui permettraient de réduire les risques pour l’environnement.
Parmi les opposants, on trouve logiquement les pays dont les ressources en hydrocarbures conventionnels restent très importantes (Russie, pays du Golfe).
Le sommet de l’Union européenne, du 22 mai 2013 à Bruxelles a montré la crispation des Etats membres autour de la question de l’indépendance énergétique.
Évidemment, nos politiques s’emparent de cette question en espérant des retombées électorales et essaient comme à l’habitude, de « contenter tout le monde ». La loi Jacob du 13 juillet 2011 interdit en effet d’exploiter le gaz avec la technique de fracturation hydraulique alors que le code minier ne donne aucune information sur la différence entre les hydrocarbures conventionnels et les autres. Cela donne, comme à l’habitude en France, une « merveilleuse cacophonie », propre à engendrer des situations contentieuses dommageables pour notre pays
La compagnie pétrolière texane Schuepbach, fondée par le géologue suisse Martin Schuepbach est à l’origine d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur la loi française de juillet 2011 interdisant la fracturation hydraulique. Selon le BIP (Bulletin de l’industrie pétrolière). La compagnie réclame plus d’un milliard d’euros au titre du préjudice qu’elle a subi du fait de l’abrogation de ses permis d’exploration à Nant (Aveyron) et à Villeneuve-de-Berg (Ardèche), dans le cas où le groupe n’obtiendrait pas gain de cause en justice.
Le 8 octobre dernier, notre ministre de l’écologie Ségolène Royal entretient le flou quant à la position du gouvernement. Après avoir publié sur le site du ministère une autorisation d’exploitation vague d’hydrocarbures, la ministre a affirmé qu’il s’agissait de ressources conventionnelles. Elle a ensuite semé la confusion en déclarant retirer l’autorisation, craignant qu’elle ne glisse vers l’exploitation de ressources non conventionnelles.
Ce que l’on ne voit pas :
Gardons toujours présent à l’esprit que dès qu’il s’agit du gaz ou du pétrole de schiste, le débat est trusté d’un côté par les écologistes et de l’autre par des lobbys de l’industrie pétrolière. Cela étant :
Fait peu connu du grand public : La France est un des leaders des gaz de schiste dans le monde par l’intermédiaire de Total. Déjà présent en Australie, le groupe du « grand capitaine d’industrie avec une vision unique » Christophe de Margerie, a acquis en 2013 deux permis d’exploitation de gaz de schiste en Angleterre. Il s’agit du cinquième pays dans lequel le groupe a investi dans les gaz de schiste. Total est déjà actif au Danemark, et suit attentivement les évolutions en Pologne.
Selon David Fyfe chef économiste chez Gunvor à Genève, l’approche pétrolière classique exige des capitaux de départ considérables, mais l’exploitation est beaucoup moins couteuse. C’est l’inverse pour le pétrole de schiste qui demande peu d’investissement et exige de forer, avec un taux de déclin naturel de 35% à 45%. Le seuil de rentabilité est situé entre 60 et 90 dollars le baril pour le Brent. Dès que le prix du brut chute, l’exploitation d’un gisement de schiste devient trop couteuse.
L’essor du gaz de schiste ce situe donc en rapport direct avec le prix du pétrole classique. Dans une étude de septembre 2013, le cabinet Mc Kinsey démontre que c’est une erreur de croire que les prix du pétrole ont toujours augmenté. Seul le choc pétrolier de 1973 a pu faire bondir les prix, mais les cours se sont installés sur une pente franchement descendante par la suite.
Depuis le « miracle de schiste » des USA, la pression haussière sur le pétrole est devenue nettement moins forte. Malgré les guerres (Irak, Ukraine, bande de Gaza..), le Brent est en recul (85,7 $ le 24 octobre 2014) Source Boursorama
Autre point de controverses, celui des réserves de pétrole. Mi-juillet 2014, Shell a annoncé la découverte à 8 000 m de profondeur d’un gisement de 100 millions de barils dans le bassin du Norphlet situé dans le golfe du Mexique. Cette découverte vient s’ajouter aux deux précédentes faites à proximité, d’une capacité totale de 600 millions de barils.
Puisque nous en sommes à aborder le sujet des « réserves », il est intéressant de noter que selon les estimations faites en 2012 par l’IEA, les États-Unis deviendraient énergétiquement indépendants en 2015…. À condition de forer 45.000 puits par an !!!
Une très intéressante étude publiée, mercredi 12 février 2014, par l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri-Sciences Po) se penche sur les incertitudes des réserves de gaz de schiste en Europe. « S’il n’y a pas eu de miracle outre-Atlantique, il y en aura encore moins en Europe, où subsiste une grande incertitude sur l’importance des réserves potentielles, faute de forages exploratoires suffisants »… « Cela ne réduira ni les importations de gaz de Russie, d’Algérie ou du Qatar (54 % de la demande européenne), ni les prix des combustibles fossiles, qui « resteront largement déterminés par les marchés internationaux ».
En effet, pas de « miracle » aux USA. En 2014, le département américain de l’énergie corrige les chiffres de l’’IEA et pas qu’un peu !!! Désormais, les experts estiment que le potentiel de fracturation des roches de schiste est tombé de 96%, dans le seul état californien. L’IEA confirme qu’il n’y a que 600 millions de barils qui sont exploitables.
Les experts de 2000 Watts.org s’interrogent sur de telles différences dans les études. Certains spécialistes dont le géologue David Hughes, avaient pourtant dès mars 2013, contesté les estimations officielles. De même, Bill Powers (auteur de Cold Hungry and in the Dark) contredisait le 18 mars 2013, les chiffres avancés dans les études officielles et dénonçait les manipulations de la « la machine médiatique de l’industrie pétrolière ».
Autre connaisseur du dossier : Tim Morgan (Responsable de la recherche chez le courtier en énergie Tullett Prebon jusqu’en 2013) qui signe un article dans The Telegraph du 4 août 2014 où il précise «la production des puits décline si rapidement aux États-Unis qu’ils ne seront jamais rentables». Il estime que la fracturation est une absurdité économique.
Myret ZAKI, fine observatrice du magazine économique Suisse Bilan, relève « La faiblesse du modèle vient de ce que ces puits coûtent le double des puits classiques, tandis que leur production décline six fois plus vite »…« en Pologne, le forage de 30 à 40 puits n’a débouché sur aucune production significative » et de conclure : Alors que la «story» enflera peut-être encore 18 à 24 mois, des investisseurs crédules vont encore y placer leur argent. Or c’est à présent qu’il faut sortir, et non quand le «boom» sera 100% requalifié de «bulle»
Le champ des motivations de toute cette affaire se précise encore plus, quand on apprend :
– Que fin mars 2014, le président Barack Obama a déclaré à Bruxelles que les États-Unis pourraient fournir plus de gaz à l’Europe qu’il ne lui en faut pour remplacer le gaz Russe.
– Que les 4 et 5 juin 2014, les importations de gaz de schiste américain en Europe ont été évoquées lors du sommet du G7. Washington commencera à fournir du gaz de schiste à l’Europe à la fin de 2015, mais cela implique des investissements de plusieurs milliards de dollars (ça alors !!!)
– Que la banque britannique Barclays estime que les traders de Wall Street ont gonflé la thématique relative au schiste en vue de créer entre autres des produits structurés à haut risque servant à financer des forages à perte.
Et si la « success-story » du gaz de schiste des USA avait été montée en épingle par les politiques américains pour « sauver le dollar » et par les grandes banques ?
N’oublions pas cet autre facteur « de fortes turbulences » pour l’industrie du gaz de schiste, qu’est la remontée des taux par la FED. Comme l’analyse fort justement Olivier Rech, responsable de la recherche énergie chez Beyond Ratings, la politique actuelle de taux réels très faibles voir négatifs ne peut perdurer. Les sociétés du secteur se sont lourdement endettées. L’inéluctable remontée des taux leur sera fatale.
J’entends déjà certains me dire « mon cher Hubert, arrêtez avec votre phobie du monde bancaire ». Vous connaissez désormais ma réponse « des faits, rien que des faits ». Dans une dépêche du 10 octobre 2014, Bloomberg met à jour quelques détails de la manipulation des banques chargées de collecter des capitaux pour accompagner l’essor de cette nouvelle industrie.
Et pour finir de convaincre les derniers sceptiques :
Ce que voit Alex Andrin
Arrêtons de rêver aux ressources infinies,
Qui pourraient exister, dans un monde fini.
À trop vouloir jouer les apprentis sorciers,
Tout ça pour satisfaire quelques gros financiers.
Nous touchons là un si fragile équilibre,
Qui, rompu, pourrait nous empêcher de vivre.
La nature a des droits, qu’il nous faut respecter.