Depuis deux ans, j’ai évoqué à de nombreuses reprises le monde de la banque, ses pratiques et les conséquences pour nos patrimoines. Je vous propose d’y revenir car les menaces se précisent.

Etat des lieux

Au début était LA banque : Celle dont l’activité consistait à gérer les dépôts, les moyens de paiement de ses clients, ainsi qu’octroyer des prêts aux ménages et aux entreprises.

Ce que l’on appelle aujourd’hui « la banque de détail ».

Puis la banque développa d’autres activités, plus spéculatives mais tellement plus rémunératrices : placements sur les marchés primaires, titrisation, négoce de produits dérivés, trading sur à peu près tous les types de produits, y compris les produits alimentaires de base.

Le développement de toute cette « industrie financière » comme ils disent, qui a amené, entre autres, à la crise des subprimes, s’appelle aujourd’hui « la banque de marchés ».

Ajoutée à l’activité de banque de détail, nous obtenons « la banque universelle » si chère au pouvoir financier français.

Une faible partie, des fonds déposés par les clients sert à financer des activités spéculatives.

Il est dès lors clair qu’en cas de pertes sur ses activités à risques, il est aisé pour la banque de demander l’aide de l’état (nous en tant que contribuables) pour « éponger les dettes ». C’est le principe de « la privatisation des profits et de la nationalisation des pertes ».

Ce fut l’une des sources de la crise de 1929, des faillites de banques aux états unis d’Amérique et des suites guerrières mondiales que l’on connait.

Pour « éviter que pareil phénomène ne se reproduise », selon l’expression consacrée, une régulation du marché bancaire est mise en place aux USA.

C’est le principe de la garantie publique des dépôts et la séparation des deux grandes activités bancaires.

Voulue par deux parlementaires lucides autant que courageux : le sénateur Carter GLASS et le député Henry STEAGALL et officialisée par une loi : le « Glass-Steagall act »

D’un côté une banque de « service public » garantie par l’état (le contribuable) et de l’autre une banque de marché, plus risquée mais sans garantie publique, qui assumera ses pertes par sa mise en faillite.

Ce modèle de régulation a été transposé dans les autres pays industrialisés et a procuré une longue période de stabilité.

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En 1984, sous la présidence de François Mitterrand, la France bientôt suivie par l’Angleterre en 1986, autorisent la constitution de grandes banques « universelles » pratiquant à nouveaux les deux activités (dépôts et activités de marché).

Cette tendance atteint son apogée le 12 novembre 1999, ou les parlementaires américains votent le « Gramm-Leach-Bliley Act », qui annule le « Glass-Steagall Act », voté 46 ans avant, en juin 1933.

Désormais, il n’y a plus de séparation entre banques de dépôts et banques d’affaires. De plus, celles-ci sont autorisées à fusionner avec des sociétés d’assurance. C’est la chute de la « muraille de Chine » prudentielle qui voit le développement de la « bancassurance ».

La faillite de la banque Lehman Brothers le 15 septembre 2008, qui a entrainé la quasi faillite du premier assureur mondial : AIG, démontre avec éclat qu’hélas, la leçon de 1929 n’a pas été retenue.

Lobby bancaire ?

Très curieusement, le lobby bancaire a réussi à éviter le retour de la séparation de ses deux grandes activités après la crise née en 2007.

Pas si curieusement que cela, quand on sait la « porosité » entre le pouvoir politique et le pouvoir financier, principalement aux USA.

En France, les hauts fonctionnaires du trésor, beaucoup sont inspecteurs des finances, deviennent volontiers des cadres dirigeants du secteur bancaire. Ils ont donc à cœur de protéger les intérêts de leurs futurs employeurs :

–   Xavier MUSCA : directeur général délégué au Crédit Agricole (ex directeur du trésor, ex secrétaire général de l’Elysée)

–   Gilles BRIATTA : secrétaire général adjoint à la Société Générale (ex conseiller Europe de François Fillon)

–   François VILLEROY de GALHAU : directeur général délégué à BNP Paribas (ex directeur du cabinet de Dominique Strauss Kahn à Bercy)

–   François PEROL président du groupe Banque Populaire Caisse d’Epargne, (ex conseiller économique de Nicolas Sarkozy à l’Elysée)

Devant des politiques terrorisés par la difficulté du sujet, rien n’est plus aisé à ces fonctionnaires qui préparent la loi, que de convaincre les élus qu’ils se doivent de faire preuve de la plus grande prudence et de la modération la plus avisée avant de « réformer » le système bancaire en place.

La lecture du récent ouvrage de Mathias Thépot, Frank Dedieu et Adrien de Tricornot, aux éditions Bayard « mon amie c’est la finance , ou comment François Hollande a plié devant les banquiers », explique dans le détail comment « un peuple qui agonise sous les dettes de ses banques n’a plus le loisir de résister au chantage politique de ses créanciers. ».

L’Autorité des marchés financiers (AMF), vous savez, « le gendarme de la bourse »  vient de renouveler la moitié des membres de sa Commission des sanctions, (celle qui décide des sanctions sur les fraudes et manipulations présumées du secteur bancaire et financier). Parmi les personnes nommées par Pierre Moscovici, figure Françoise BONFANTE. Elle est responsable depuis 2010 de la filière risques de la banque suisse UBS, et a été pendant quinze ans directrice de la conformité à UBS France et Europe,

Toujours à l’AMF, Edouard VIEILLEFOND, après cinq années passées au service de la régulation financière va rejoindre le 1er mars prochain, COVEA en tant que chargé de mission auprès du directeur général. (COVEA est la première société de groupe d’assurance mutuelle (SGAM) créée en France. Elle réunit la GMF, la MAAF, les MMA et EURAPCO (une alliance réunissant sept assureurs européens.)

Too big to fail ?

Qui signifie « trop gros pour faire faillite ». C’est un concept économique qui décrit la situation d’une banque ou toute autre institution financière dont la faillite aurait des conséquences systémiques désastreuses sur l’économie et qui par conséquent se retrouve renflouée par les pouvoirs publics dès lors que ce risque de faillite est avéré.

Encore une de nos chères spécificité française : Nous sommes un des très rares pays qui dispose de quatre banques systémiques, (BNP Paribas, Crédit agricole, Société générale et BPCE) dont le total de bilan représente plus de 3 fois le PIB du pays (3,35 fois très exactement).

Quels risques  pour nous, les déposants ?

Les banques françaises vont bien. Les banques européennes aussi. Qu’on se le dise.

Dans une étude de janvier 2014, L’agence Bloomberg démontre que le déficit en capitaux propres des banques européennes est de …767 milliards d’€, soit environ 50% de notre PIB français.

Médaille d’or toutes catégories (mieux qu’aux jeux olympiques d’hivers) pour la France, avec un manque de capitaux propres de 285 Milliards d’euro. C’est, à nous seuls, plus de 37% de l’ensemble. Cela représente à peu près 17 600 € pour un couple avec deux enfants (base de 65 millions d’habitants).

Les banques allemandes aussi sont concernées : 199 Mds€, soit quand même 100 Mds€ de moins que nous.

Les banques espagnoles, avec 92 Mds€, font vraiment « petits joueurs » à côté de la France.

Quant aux banques italiennes, les pauvres, elles n’ont un déficit en fonds propres que de 45 Mds€.

A ce stade, qui peut penser qu’ « un banquier fou » puisse imaginer une « petite ponction » sur les comptes des déposants, qui permettrait de rétablir des bilans plus équilibrés ?

C’est vrai. Il y a eu un précédent à Chypre en mars 2013. Mais cette crise est derrière nous. Rassurez-vous.

Chypres, c’était différent. Vous n’allez tout de même pas comparer les banquiers chypriotes avec notre élite bancaire nationale. Quand on vous dit que le français est pessimiste de façon totalement injustifiée.28 février 2014

Restons factuel :

–   Dans une étude faite en 2012, l’économiste allemand Stefan Bach, développe un raisonnement selon lequel, en opérant une taxation de 3,4% sur les comptes bancaires des allemands disposant de dépôts supérieurs à 250.000 €, on effacerait 4% de la dette publique de l’Allemagne, soit 100 Milliards d’euro.

–   S’appuyait sur cette étude, en Octobre 2013, les économistes du FMI ont étendu ce principe à un échantillon de 15 pays de la zone euro. Leurs conclusions, publiées dans la revue « Fiscal Monitor »:

« L’intérêt, c’est que si une telle taxation est mise en place avant que les gens ne prennent leurs dispositions pour l’éviter et qu’il y a une forte croyance qu’elle ne sera pas répétée, elle ne perturbera pas les comportements (et que certains pourront même considérer qu’elle est juste) (…) Les taux de taxation requis pour ramener la dette publique à ses niveaux d’avant-crise, cependant, sont quantifiables : réduire les ratios de dette pour leur faire retrouver leurs niveaux de fin 2007 (pour un échantillon des 15 pays de la zone euro nécessiterait un taux de taxation d’environ 10% sur les ménages disposant d’une fortune nette positive ».

–   Dans son rapport mensuel de décembre 2013, la Banque centrale allemande a, elle aussi évoqué l’hypothèse d’une « super taxe sur le capital pour rembourser les dettes des États insolvables ».

–   En janvier 2014, le président de Saxo Banque, dans le cadre de ses « prédictions chocs » annonce :

« La commission européenne pourrait alors opter pour la réunion d’un groupe de travail, qui pourrait proposer une taxe sur la fortune sur les patrimoines supérieurs à 100.000 euros ou dollars. Cette initiative serait conduite au nom de la réduction des inégalités et verrait le 1% le plus riche de la population payer une part plus « juste » pour soulager le fardeau de la dette publique. Plusieurs articles académiques ou issus de la recherche des banques ont établi qu’un impôt sur la fortune de 5 à 10% est nécessaire pour créer un matelas anti-crise afin d’accorder des cautions ou de renflouer les banques, les gouvernements et autres passifs issus de cette crise financière et de la dette »

–   Ce mois-ci, le gouvernement italien vient de prendre un décret, applicable rétroactivement au 1er février 2014. Il stipule que les banques devront prélever une taxe de 20% sur tous les virements de fonds en provenance de l’étranger. 20% des sommes reçues sur des comptes italiens seront donc systématiquement confisqués, et pour les récupérer, le titulaire du compte devra apporter la preuve qu’il ne s’agit pas de revenus non déclarés ou d’argent blanchi.

–   Depuis quelques mois, les Britanniques qui ont choisi de confier leurs économies à la HSBC n’ont pas pu retirer de grosses sommes sans fournir de documents prouvant l’utilisation qu’ils comptaient faire de cet argent. Interrogés par la BBC, plusieurs clients de la banque ont en effet raconté qu’il leur avait été impossible de récupérer des sommes allant de 5000 à 10.000 livres (6 000 à 12.000 €) car ils n’avaient pas pu montrer de justificatif ou que leur conseiller n’avait pas jugé valable la raison de leurs retraits.

La garantie de nos dépôts. Réelle ou illusoire ?

Comme je l’ai déjà évoqué dans différents écrits, contrairement à ce que beaucoup pensent, l’argent que nous avons sur nos comptes à la banque, ne nous appartient pas.

Juridiquement, il appartient à la banque. Nous avons une créance sur la banque. Autrement dit, la banque « nous doit cet argent ».

La garantie des dépôts bancaires, qui est assurée par le Fonds de Garantie des Dépôts, est actuellement de 100 000 € par déposant ET par banque, quel que soit le nombre de comptes ouverts par un même déposant dans la banque, pour les particuliers comme pour les entreprises.

Vous me direz, « 100 000 €, c’est beaucoup plus que mes comptes à la banque. Je ne suis donc pas concerné par une éventuelle confiscation des dépôts importants ».

Que nenni. Et les comptes des entreprises ?

Vous savez, ces entités économiques qui emploient des salariés. Qui créent des emplois.

Dans l’étude d’impact de la directive européenne qui a harmonisé en 2010 la garantie des dépôts à 100 000€ (les chiffres n’ont pas dû changer significativement), il est écrit que les dépôts de plus de 100 000 € ne représentent que 6% des comptes. Mais aussi, notion beaucoup plus importante à mes yeux :

–   Qu’ils représentent 3 500 000 comptes,

–   Que le quart de ces dépôts, sont supérieurs à 100 000€ et donc, de fait, non garantis,

–   Le montant de cette partie des dépôts, non garantis, représente 500 milliards d’euros.

Bien que non précisé dans cette étude, il est fort probable que la majorité de ces comptes appartiennent à des sociétés, commerces et entreprises.

Je vous laisse imaginer l’impact, sur la trajectoire de la courbe du chômage, dans les différents pays d’Europe. Croyez-vous sérieusement que la France sera épargnée ?

De plus, pour ce qui est de notre pays, le fonds de garantie des dépôts n’a à ce jour que 2 Mds € en caisse, pour 2 000 Mds € de dépôts garantis…

Mais revenons à notre garantie de « petit déposant ».

Jusqu’à maintenant, dans ce chapitre consacré à la garantie des dépôts, je n’emploie pas la bonne terminologie.

En effet, comme je le pressentais (mon écrit du 25 mars 2013), la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, promulguée le 26 juillet 2013, a modifié profondément le code monétaire et financier et notamment concernant la garantie de nos dépôts dans les établissements financiers.

Une ordonnance du 20 février 2014, adaptant notre législation financière au droit de l’union européenne est encore venue « enfoncer le clou ».

Les articles : L 312-4 et suivants, L 612-1 et suivants, du code monétaire et financier :

–   Créent l’autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) en remplacement de l’ancienne autorité de contrôle prudentiel créée en janvier 2010 (ACP). Elle est chargée de « contribuer à la stabilité du secteur financier ».

–   Etendent beaucoup plus largement qu’aux seules banques, son champ de compétence,

–   Créent un fond de résolution pour aider, même préventivement, un établissement financier en difficulté.

–   Autorisent l’ACPR à utiliser le fond de garantie des dépôts des clients, qui se fond dans le fond de résolution, pour solutionner une défaillance bancaire.

Si, si. Vous avez bien lu.

L’ACPR est une autorité administrative indépendante (AAI) qui, agissant au nom de l’état, dispose de pouvoirs de réglementation et de sanction.

Elle est donc placée en dehors des structures administratives traditionnelles. Les pouvoirs publics ne peuvent pas lui adresser d’ordres, de consignes ou même de simples conseils et ses membres ne sont pas révocables.

L’ACPR constitue une exception à l’article 20 de la Constitution selon lequel le Gouvernement dispose de l’administration. Ne sont-elles pas belles, nos spécificités française ?

Par avance, je réponds à ceux qui me diront que leurs banquiers considèrent tous les assertions ci-avant comme des « élucubrations provenant d’un pessimiste incompétent » :

–   Tous ces errements finiront dans de grandes douleurs financières et sociales,

–   Faute d’avoir pris à temps les mesures de bon sens nécessaires, bien des personnes ne s’en relèveront pas.

–   DÉ BAN CA RI SEZ VOUS !!!

Quand la crise ultime surviendra ? Je ne sais pas précisément mais j’ai la certitude que l’échéance se rapproche.

La classe politique en place (toutes tendances confondues), économique et médiatique « fait de la résistance ». C’est logique puisqu’il y va de leur survie.

Un peu partout dans le monde et même en France, malgré la désinformation organisée, la « colère du peuple » monte.

Je termine ce billet avec la citation de John Fitzgerald Kennedy, qu’emploi régulièrement mon ami Charles SANNAT, éditorialiste au Contrarien matin :

« A vouloir étouffer les révolutions pacifiques, on rend inévitables les révolutions violentes »